L'Itinérance et les Menstruations au Canada

L’itinérance exacerbe les désagréments physiques et émotionnels de la menstruation. Rien qu'au Canada, où la population des personnes en situation itinérante varie entre 150 000 et 300 000 personnes par an, environ 28 % d'entre elles ont leurs règles. Cette statistique souligne l'urgence de relever les défis uniques auxquels sont confrontées les personnes en situation d’itinérance dans la gestion de leurs menstruations.

Les produits menstruels sont chers !

Avant tout, il est essentiel de reconnaître que la gestion de la santé menstruelle s'accompagne d'un fardeau financier important. Bien que le Canada ait supprimé les taxes sur les produits menstruels, ceux-ci sont loin d'être accessibles gratuitement. Le coût estimé des produits menstruels pour la durée d'une vie peut atteindre $6,000, ce qui les rend inaccessibles aux personnes en situation itinérante. Par conséquent, ces personnes sont souvent confrontées à un choix déchirant entre l'achat de produits menstruels et la satisfaction de leurs besoins primaires, tels que la nourriture et le logement.

L’accès aux produits dans les centres d'hébergement

De plus, la disponibilité des produits menstruels dans les centres d'hébergement, bien que fournie, est souvent irrégulière et insuffisante. Les dons peuvent varier d'une semaine à l'autre, ce qui laisse les personnes menstruées avec un accès imprévisible aux produits essentiels. De plus, l'accès à ces produits peut être limité par des « gardiens » des centres d'hébergement qui contrôlent la quantité de produits que les personnes peuvent prendre. Par ailleurs, la qualité des produits risque de ne pas répondre aux normes requises, comme certaines serviettes hygiéniques qui sont trop fines pour offrir une protection adéquate.

Des solutions risquées

En l'absence d'un accès fiable à des produits menstruels adéquats, les personnes en situation d’itinérance peuvent avoir recours à des solutions non hygiéniques ou de substitution, telles que l'utilisation d'éponges ou de chiffons. Ces méthodes improvisées présentent des risques pour la santé car elles peuvent entraîner une série d'infections et d'irritations. Elles peuvent également perpétuer les sentiments de honte et d'indignité. Par ailleurs, certains peuvent participer à des vols à l'étalage de survie, recourant à des moyens illégaux pour se procurer des produits essentiels en raison de leur prix inabordable.

Des produits réutilisables ?

Le passage à des produits menstruels plus durables, tels que des serviettes, des sous-vêtements ou des coupes réutilisables, pourrait constituer une solution plus saine, plus respectueuse de l'environnement et plus rentable. Cependant, le coût initial bien plus élevé de ces produits et le manque d'accès aux installations sanitaires, telles que l'eau potable, les toilettes publiques et les machines à laver, constituent un obstacle important à l'adoption de ces solutions par les personnes en situation d’itinérance.

Stigmates

Au-delà des défis pratiques, les stigmates sociétaux entourant les menstruations aggravent les difficultés rencontrées par les personnes en situation itinérante ayant leurs menstruations. Les normes sociétales perpétuent l'idée que le « corps normal n'est pas un corps qui saigne »et que les personnes menstruées doivent cacher leurs règles, ce qui fait que les individus en situation d'itinérance se sentent marginalisés et peu susceptibles de demander de l'aide. Les personnes en situation itinérante ont un accès limité à l'intimité et dépendent souvent d'autres personnes pour gérer leurs menstruations, par exemple en demandant des produits aux centres d'hébergement. Même si des produits sont disponibles, certaines personnes hésitent à demander des serviettes ou des tampons aux fournisseurs de services en raison des sentiments de honte et d'embarras associés aux menstruations. La visibilité de l'itinérance contraste avec l'intimité que ces personnes souhaitent avoir pour gérer les aspects physiques et émotionnels des menstruations.

Il n'y a pas que les saignements…

Par ailleurs, les menstruations exacerbent l'inconfort physique et émotionnel lié au fait de dormir dans la rue. L'absence de logement stable et le besoin constant de déménager intensifient les difficultés à gérer les douleurs et les émotions liées aux règles. Le sommeil, déjà difficile à trouver pour de nombreuses personnes en situation d’itinérance, devient encore plus difficile à trouver pendant les règles, ce qui menace encore plus leur bien-être.

Que faisons-nous ?

S'attaquer à l'intersection de l'itinérance et de la précarité menstruelle nécessite une approche à multiples facettes qui reconnaît l'interaction complexe des facteurs financiers, logistiques et sociétaux. La mise en œuvre de réglementations visant à garantir un accès gratuit et fiable aux produits menstruels dans les centres d'hébergement, ainsi que des efforts d'éducation et de déstigmatisation, sont essentiels. De plus, les initiatives visant à promouvoir les produits menstruels durables et réutilisables devraient s'accompagner d'investissements dans les infrastructures sanitaires afin de garantir leur viabilité pour les personnes en situation itinérante.

Par-dessus tout, il est indispensable de créer un environnement favorable et inclusif dans lequel les personnes en situation d'itinérance se sentent autorisées à demander de l'aide sans craindre d'être jugées. En reconnaissant et en relevant les défis uniques auxquels est confrontée cette population vulnérable, nous pouvons progresser vers une société plus équitable et digne pour tous.

Écrit par Solenne Trequesser