L'Itinérance et les menstruations au Canada

Solenne Trequesser
·
2 août 2024

L’absence de logement aggrave les inconforts physiques et émotionnels liés aux menstruations. Rien qu’au Canada, où la population en situation d'itinérance varie entre 150 000 et 300 000 personnes chaque année, environ 28 % de ces individus sont des personnes menstruées (1). Cette statistique souligne l’urgence de s’attaquer aux défis uniques que rencontrent les personnes en situation d'itinérance pour gérer leurs menstruations.

Les produits menstruels sont chers !

Tout d'abord, il est essentiel de reconnaître que la gestion de la santé menstruelle (GSM) représente une charge financière importante. Bien que le Canada et le Québec aient supprimé les taxes sur les produits menstruels, ils restent loin d’être accessibles gratuitement. Le coût estimé à vie pour ces produits peut atteindre jusqu’à 6 000 $, ce qui les rend inaccessibles pour les personnes en situation d'itinérance (2). En conséquence, les individus doivent souvent faire un choix déchirant entre acheter des produits menstruels et répondre à leurs besoins essentiels, comme se nourrir ou se loger.

L’accès aux produits dans les centres d'hébergement

De plus, la disponibilité des produits menstruels dans les refuges, bien qu'assurée, reste souvent incohérente et insuffisante (3). Les dons peuvent varier d'une semaine à l'autre, rendant l'accès aux produits menstruels imprévisible. De plus, l'accès à ces produits peut être restreint par des responsables dans les refuges, qui limitent la quantité de produits que les personnes peuvent prendre. (4). De plus, la qualité des produits distribués peut ne pas répondre aux standards nécessaires, avec certaines serviettes hygiéniques trop fines pour offrir une protection adéquate.

Des solutions risquées

En l'absence d'un accès fiable à des produits menstruels appropriés, les personnes menstruées en situation d'itinérance peuvent recourir à des solutions peu hygiéniques ou improvisées, telles que l'utilisation d'éponges ou de morceaux de tissu. Ces méthodes improvisées présentent des risques pour la santé, car elles peuvent entraîner une série d'infections et d'irritations (5). Elles peuvent également perpétuer des sentiments de honte et d'indignité. De plus, certaines personnes peuvent recourir à des vols à l'étalage pour survivre, utilisant des moyens illégaux pour obtenir des produits essentiels en raison de leur coût élevé.

Des produits réutilisables ?

La transition vers des produits menstruels plus durables, comme des serviettes réutilisables, des sous-vêtements réutilisables ou des coupes, pourrait offrir une solution plus saine, respectueuse de l'environnement et économique. Cependant, le coût initial plus élevé de ces produits et le manque d'accès à des installations sanitaires, telles que de l'eau potable, des toilettes publiques et des machines à laver, constituent un obstacle majeur à l'adoption de ces alternatives pour les personnes en situation d'itinérance (6, 7).

Stigmates

Au-delà des défis pratiques, les stigmates sociétaux entourant les menstruations aggravent les difficultés rencontrées par les personnes menstruées en situation d'itinérance. Ces stigmates peuvent conduire à une stigmatisation sociale, renforçant ainsi le sentiment de honte et d'indignité. Cela complique non seulement l'accès aux produits menstruels, mais aussi la gestion de leur santé menstruelle dans un contexte déjà vulnérable (8). Les normes sociétales perpétuent l'idée que le « corps normal n'est pas un corps qui saigne » et que les personnes menstruées devraient dissimuler leurs règles. Cela laisse les personnes menstruées en situation d'itinérance se sentir marginalisées et réticentes à demander de l'aide. Cette stigmatisation sociale non seulement complique l'accès aux ressources nécessaires, mais renforce également l'isolement et la honte liés à leur situation (9). Les personnes en situation d'itinérance ont un accès limité à la vie privée et dépendent souvent d'autrui pour gérer leurs menstruations, comme demander des produits aux refuges. Même si des produits sont disponibles, certaines personnes restent réticentes à demander des serviettes ou des tampons en raison de la honte et de l'embarras associés aux menstruations. La visibilité de l'itinérance contraste avec l'intimité que ces personnes souhaitent pour gérer les aspects physiques et émotionnels de leurs règles (10).

Il n'y a pas que les saignements…

De plus, les menstruations exacerbent l'inconfort physique et émotionnel de dormir dans la rue (11). Le manque de logement stable et le besoin constant de se déplacer intensifient les défis liés à la gestion des douleurs et des émotions menstruelles. Le sommeil, déjà difficile à atteindre pour de nombreuses personnes en situation d'itinérance, devient encore plus insaisissable pendant les menstruations, compromettant davantage leur bien-être.

Que faisons-nous ?

S'attaquer à l'intersection de l'itinérance et de la précarité menstruelle nécessite une approche à multiples facettes qui reconnaît l'interaction complexe des facteurs financiers, logistiques et sociétaux. La mise en œuvre de réglementations visant à garantir un accès gratuit et fiable aux produits menstruels dans les centres d'hébergement, ainsi que des efforts d'éducation et de déstigmatisation, sont essentiels. De plus, les initiatives visant à promouvoir les produits menstruels durables et réutilisables devraient s'accompagner d'investissements dans les infrastructures sanitaires afin de garantir leur viabilité pour les personnes en situation itinérante.

Par-dessus tout, il est indispensable de créer un environnement favorable et inclusif dans lequel les personnes en situation d'itinérance se sentent autorisées à demander de l'aide sans craindre d'être jugées. En reconnaissant et en relevant les défis uniques auxquels est confrontée cette population vulnérable, nous pouvons progresser vers une société plus équitable et digne pour tous.